Racisme et Covid-19

Au premier abord, cela paraît relever de l’évidence. Les climats de crise, en provoquant une forte anxiété, favoriseraient la recherche d’un bouc émissaire, et feraient ressortir les vieux démons. Les théories complotistes trouveraient également dans ces contextes un terreau fertile. La presse a relayé les propos xénophobes, ou même racistes, émis envers les populations chinoises, ou d’origine chinoise, en Europe et aux Etats-Unis. Un quotidien régional n’a-t-il pas fait sa une sur le « péril jaune », avant de s’excuser ? Les crises favoriseraient le retour de vieux poncifs, d’anciennes peurs comme celle du péril jaune, une peur, apparue dès la fin du XIXe siècle, qui connut, dans l’entre-deux-guerres, un large succès sous la plume des responsables politiques de l’époque, notamment celle du député et ministre radical-socialiste, Albert Sarraut, ou encore celle du célèbre politiste, André Siegfried. A l’époque la menace paraissait avant tout démographique, la forte croissance de la population chinoise inquiétait intellectuels et politiques qui redoutaient que la vieille Europe ne fusse submergée par le « flot montant des races de couleurs ». Quelques décennies plus tard, l’expression fit encore florès alors que s’ajoutait la peur de voir l’Europe recalée dans la course à la croissance économique.

Faire la généalogie des peurs et des différentes formes de rejet de l’autre qu’elles génèrent a pourtant un autre intérêt que celui de rappeler les démons du passé. Il peut nous aider à analyser la construction sociale du racisme et nous permettre d’aller un peu plus loin que les évidences. Car le lien entre crise et hausse du racisme n’est pas si automatique qu’il n’y paraît. En effet, les tentatives de mesurer les fluctuations du racisme dans la société d’aujourd’hui nous montrent que la relation entre les deux phénomènes n’est pas si évidente. Avant d’aller plus loin, soulignons toute la difficulté de mesurer le racisme : les statistiques sous-estiment le phénomène car les actes ne font pas tous l’objet d’un dépôt de plainte et la méthode des sondages entraîne de nombreux biais. La mesure est donc imparfaite, mais les tendances qui se dégagent montrent que les situations de fortes tensions (attentats, crises, etc.) ne génèrent pas automatiquement des flambées de racisme. Tout dépend du traitement politique et médiatique qu’il en est fait.

Dans la crise actuelle, on s’aperçoit que l’exacerbation des sentiments et des propos anti-chinois, ont parfois été relayés par les autorités politiques. L’exemple étatsunien étant, à cet égard, emblématique. On comprend aisément que lorsque le premier personnage de l’Etat, engagé dans une rivalité économique et politique avec cette autre superpuissance, reprend à son compte ce type de propos, cela légitime considérablement ces sentiments et leur donne une indéniable aura.

A côté des élites politiques, il est un autre acteur à prendre en compte. On a pu entendre, un matin, à une heure de grande écoute, sur une radio publique, un reportage sur les « quartiers » pour illustrer le manque de respect des consignes de confinement. Un reportage aux accents de stigmatisation. Les journalistes ne sont pas, en effet, allés enquêter dans les cours intérieures des immeubles de haut standing pour voir si le confinement était bien respecté, pas plus qu’ils n’ont accompagné leur propos d’une évocation des difficultés que peuvent rencontrer des familles modestes à vivre dans un très petit espace et à respecter le mot d’ordre « Restez chez vous! ».

Cette rapide analyse a, nous semble-t-il, l’intérêt de montrer qu’on ne peut pas se limiter à pointer du doigt les responsables de ce « racisme ordinaire », pas plus que de chercher à l’excuser, mais, pour le comprendre et le déjouer, on ne peut faire l’économie de prendre en compte le rôle de tous les acteurs sociaux, celui des élites politiques, économiques, intellectuelles, médiatiques, dans la construction sociale du racisme.

Carole Reynaud-Paligot – avril 2020

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