Dans les années 1980-1990, on pensait que la meilleure manière d’utiliser les résultats de la génétique pour lutter contre le racisme était de démontrer que la notion de race n’était pas valide scientifiquement. Pour cela différents arguments ont été mobilisés, notamment le faible pourcentage de différences génétiques entre les groupes humains. Pourtant, cet argument n’a pas porté ces fruits. La notion de faible différence est purement subjective : combien de différences seraient-elles nécessaires pour justifier une pensée raciste ? Ainsi, il semble que plutôt que d’argumenter sur une faible différence entre les populations humaines, il est essentiel d’expliquer d’où viennent ces différences. Oui, nous sommes légèrement plus différents génétiquement les uns des autres si nous venons d’endroits différents de la planète. Ces petites différences sont le résultat de l’histoire de nos ancêtres et ne peuvent, en aucun cas, rendre valide la notion de race humaine. En effet, il y a des différences fondamentales entre les races animales et la diversité humaine. Les races de chiens sont le résultat d’une sélection effectué par l’Homme depuis le XIXe siècle, une sélection faite en fonction de critères morphologiques ou de comportements et qui passe par une limitation des croisements entre races. Les races animales sont donc des boîtes étanches obtenues à la suite de croisements effectuées durant un grand nombre de générations. Chez l’Homme, il n’y a pas eu dans son histoire de « boîtes » étanches qui auraient créées des différences aussi fortes entre les populations. Notre histoire est faite de mélanges, de migrations entre les populations.
La deuxième limite du discours des années 1980-1990 nous semble tenir à l’absence de prise en compte de l’ancrage des pensées racistes dans les sociétés humaines. Que peuvent les généticiens qui proclament que la génétique invalide la notion de race, si différents acteurs (des hommes politiques, des intellectuels, des journalistes,…) continuent à véhiculer des stéréotypes, des préjugés voire des propos racistes ? D’où la nécessité de comprendre les conditions sociales d’émergence des sentiments racistes. C’est donc parallèlement les sciences sociales qu’il est nécessaire de mobiliser. Plutôt que de recourir à des explications continuistes, simpliste et dangereuses car fatalistes (le racisme a toujours existé et il existera toujours), il est nécessaire d’historiciser chaque moment raciste. Quel contexte favorise son essor ? Quels sont les acteurs sociaux de ces phénomènes : quels rôles jouent les élites économiques, politiques, les intellectuels, les médias, la société civile ? Cette grille de lecture nous permet d’analyser les racismes institutionnalisés du passé. Pour nos sociétés contemporaines, la grille d’analyse doit être la même. Il convient d’étudier les processus de racialisation et d’ethnicisation, quels en sont les acteurs, quels sont les enjeux politiques, économiques, sociaux ?
Enfin, rappelons que dans le racisme qui se caractérise par une catégorisation, une hiérarchisation et une naturalisation/essentialisation des différences, ce ne sont pas les différences en soi qui importent mais la volonté de créer des frontières.Carole Reynaud-Paligot (historienne) et Evelyne Heyer (généticienne) sont les commissaires scientifiques de l’exposition du Musée de l’Homme « Nous et les Autres. Des préjugés au racisme